Les écrits


Quelques réflexions sur la peinture...

 

"D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu un pinceau dans les mains, et aussi quelques couleurs; petits godets ronds enchâssés dans les alvéoles d'une petit boîte un peu rouillée. Ce fut, je crois, le premier cadeau que me fit mon père.
Dans ma tendre enfance, le papier était un matériau rare et précieux, et je dessinais sur divers supports. Qu'il soient de cartons ou de papiers déja imprimés au dos, je remplissais de mes petits dessins tous les espaces blancs qui se présentaient à moi.
Déjà, je me racontais des histoires, et je les mettais en scène, m'enivrant de mes inventions jusqu'à les vivre dans mon quotidien.
Mon père, conscient de mes dispositions chimériques, s'ingénia à développer mes aptitudes picturales en m'enseignant jour après jour les parcous théoriques et pratiques de l'art. Je pris plus tard conscience de la chance que j'avais eu et de l'immense privilège que la vie m'avait offert.
Cela devint: "le merveilleux quotidien".

Toutes formes de curiosité active comportaient pour moi une part d'aventure et révélaient à ma soif d'apprendre le besoin d'explorer l'inconnu. J'abordais ainsi une liberté hors du cadre trop étroit de la routine quotidienne. Mon imagination me proposa alors des visions irréelles et poétiques et je commençais à comprendre Socrate, pour qui: " le véritable bonheur est celui qui s'élève de la beauté physique et périssable à la contemplation de l'idée du beau ".

Au fil des années, des forces se sont agitées et se sont jouées de moi. Elles étaient merveilleuses et parfois mélancoliques. Elles m'ont portée vers des inspirations parfois inaccessibles, et pourtant, je fus tendue à les réaliser pour atteindre l'inégalable sérénité que procure la victoire sur l'adversité.
Peindre devint alors un besoin vital; toucher le vide par les formes et les couleurs, et le remplir de rêve pour retrouver la réalité transcendée; confier aux regards des autres le tréfonds de mes faiblesses et aussi de mes forces, partager de fugaces instants de silences spirituels et, enfin, communiquer quelques ébauches de bonheur. Ce sont des intimités insaisissables qu'on se croit seule à connaître et dont on voudrait enchanter les autres.
Jean Jacques Rousseau écrivait: " l'impossibilité d'atteindre aux êtres réels me jeta dans le pays des chimères, et ne voyant rien d'excitant qui fut digne de mon délire, je me nourris dans un monde idéal que mon imagination créatrice a peuplé d'êtres selon mon coeur ". L'écriture, la musique, la poésie sont des chants qui traversent l'âme. Tout au long de ma vie, j'ai vécu en muse féconde, installant sur les meurtrissures, des couleurs, des rêves et des espérances.
Tenir un pinceau, c'est déjà vouloir recommencer le monde en gomant tout ce qui l'endeuille et qui le fane. Avoir été investie à la naissance d'une telle vision de vie reste pour moi le privilège d'une grâce offerte.
L'Art est la signature de l'âme, c'est-à-dire du caractère unique et irremplaçable de chacun. L'amour du beau est un cadeau merveilleux qui ne disparaît qu'avec nous".

Danielle Neuveux-Benoît

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"C'est en rêvant tout haut que le peintre peut faire sortir l'image.

La vie coule au rythme des pinceaux comme une sorte d'antidote de la mort.
En vieillissant le peintre devient plus éclatant comme s'il trouvait une nouvelle jeunesse.
La vie du peintre est un parcours en solitaire, il est seul devant la toile blanche; les murs sont des
frontières, il faut qu'il puisse les franchir l'âme tournée vers une spiritualité exceptionnelle. Son esprit
est en perpétuelle métamorphorse, et ce qui fuse de l'instant, peut ne pas aboutir. Pour réussir un tableau,
il faut apprendre à en rater souvent.
Ainsi je me laisse engloutir dans les couleurs. Elles se superposent, se confondent, s'annulent. Parfois, elles
ne sont que les couches de l'échec. Elles dissimulent les hésitations, les exaltations, et lorsqu'enfin le calme
revient, que la vision s'éclaircit, apparaissent les couches du visible; celles que l'on offre aux autres
dans l'humilité du cadeau".

Danielle Neuveux-Benoît

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"On ne présente pas un peintre, on le fait reconnaître.

S'il y a un monde universel de l 'Art, il n'en demeure pas moins que lepeintre en est la première entité.
L'image qu'il traduit a échappé à la notion de réalité. Par son esprit, elle est entrée en abstraction, elle communique ainsi, l'autre côté du miroir, dans une autre profondeur où sa vision est le refuge de ses intimes réflexions.
Chaque peintre se doit d'exprimer ses émotions et d'explorer sa sensibilité et ce, en excluant la notion d'effets. Car pour communiquer le rêve, il faut être suprêmement sincère avec soi-même, puis avec ceux qui n'ont pas eu le privilège et la chance d'être pourvus de cette aptitude Divine.
Rien n'est acquis, et le doute est présent tout au long du parcours, cela permet le cheminement spirituel, la souffrance et la joie.
L'extase, c'est l'accomplissement, transmettre, et donner les plus belles couleurs de son âme."

Danielle Neuveux-Benoît

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La peinture c'est: " l'espace du dedans "

Me voici confrontée à l'intime perception de mes émotions intérieures. Je vais par le biais des formes et des couleurs, transcrire en clair le tréfonds de mon âme.
Ma main, complice, va exécuter ce prodige. Guidée par un appel semble-t-il divin, elle va réaliser l'ordre venu "d'ailleurs".
C'est l'instant de l'état de grâce où résonnent de lointaines musiques, par des fenêtres dans lesquelles s'inscrivent des images somptueuses. J'en suis si frémissante, que mes yeux s'emplissent de larmes. Je suis éblouie par la révélation de cette création. J'en éprouve un vrai sentiment d'allégresse.
Dans ces instants de dédoublement spirituel, il me semble ne plus m'appartenir. Les couleurs se mettent à danser dans de frénétiques sarabandes affolant le rythme du pinceau qui devient alors, telles une baguette magique, l'instrument pour l'accomplissement de l'oeuvre.
Il faut si peu à l'homme pour trouver les chemins de l'inspiration, il lui suffit de poser un regard serein sur la simplicité des objets qui l'entourent, en les transcendant par son émerveillement intérieur. Ainsi, assise dans un espace de tranquille sagesse, je médite, et je regarde.
Il semble que mes yeux ont traversé le miroir; chaque chose qui d'ordinaire paraît exister pour une banale réalité utilitaire, devient, ô sublime instant, un ravissement pour mes émotions picturales. Je suis l'artiste... le monde frappe à la porte de mon imaginaire.
Insensiblement se décante, l'apparence des choses.
Ainsi cette grande lampe, au socle noir, destinée comme une cariatide à soutenir la lumière; auréolant les êtres, elle trône au milieu du décor, la voici soudain, rassurante, chaude, colorée, amenuisant les craintes anciennes et à venir.
Il y a aussi les fleurs, fraîchement coupées qui par leur gracieuse inclinaison forment le motif d'une toile géante dans un prisme de couleurs qui insuffle au peintre le moyen de rencontrer l'extase."

"Ainsi vit et respire, l'artiste qui a reçu cette fabuleuse relation
    avec l'art, qui donne à son existence une raison d'être."

Danielle Neuveux-Benoît


La Peinture va au-delà de la simple reproduction de lignes, de formes et de couleurs sur une surface à deux dimensions. C'est un moyen mis à la disposition de chacun pour faire partager son optique de la vie, ses joies, ses peines, ses anxiétés et ses certitudes.
Les artistes réussissent mieux que personne à canaliser le flot de leurs sentiments et arrivent à transmettre leur message, grâce à une maîtrise parfaite de leur art. Ils ont le don de découvrir le caractère essentiel de toute chose, que ce soit un visage, un paisible paysage, une scène dramatique ou un fruit, et sentent en eux un besoin irrésistible de traduire leur découverte en un ensemble de formes et de couleurs.

Danielle Neuveux-Benoît


..."C'est vrai, certains disent je n'expose pas assez.
Mais je pense que plus qu'avec de fréquents effets médiatiques, le Peintre doit vivre de grands espaces de silence afin de méditer sur le parcours pictural qu'il va accomplir.
Il lui faut rencontrer l'humilité et rendre sa communication facile et empreinte de simplicité. Si les médias servent, ou desservent, son oeuvre, il n'en demeure pas moins que le Peintre se doit d'être essentiellement tourné vers la spiritualité intérieure. Il peint avant tout pour atteindre la sérénité, et non comme se plaisent à le prétendre "les quidams de l'art" pour prolonger "les noirceurs de l'existence et de l'esprit".

Je peins pour aborder aux rives des autres, pour leur apporter le rêve et l'évasion; en un mot: l'extase intérieure. Bien sûr, les regards sont individuels, ils ne sont pas tous solidaires de ma démarche romantique. Mais on ne peut pas être en accord avec tout le monde et c'est cela qui enrichit les Cultures.

Le Peintre offre à nu sa sensibilité et livre les méandres heureux ou douloureux de ses états d'âme. C'est une façon pudique de dire aux autres: Je vous aime.
Pas de démagogie dans ce voyage, mais de la sincérité, de l'authenticité surtout.
C'est bien lorsque le peintre peut encore s'émouvoir en se disant: j'ai fait de mon mieux pour l'amour de l'Art.

Je peins pour les aveugles que je veux éblouir, et pour les sourds à qui je crie des images d'espérance."

Danielle Neuveux-Benoît

L'air (à propos de la journée de VIRADE)


C'est dans un élan de fraternité que l'artiste répond présent en cette très importante journée de VIRADE.
Avec quelques touches d'eau colorée, elle va traduire tout ce que son coeur contient d'espérance pour tous ceux que le ciel prive du primorial élément de la vie:

L'AIR
L'Air c'est la douceur d'une aquarelle transparente dont les tons s'évanouissent à l'éveil des aurores frémissantes.
On le "touche" presque du doigt, le pinceau le caresse, le roule, l'étale comme des mousselines légères, douces comme des duvets d'oisillon.
L'Air, chargé de parfums transporte les senteurs de myrte, et les suaves vapeurs d'humus encore frissonant de rosée.
L'Air, c'est l'élément par lequel chacun de nous doit apprécier la prodigieuse providence.
L'Artiste le traduit, s'en inspire, le colore et lui donne une éternité, afin que ceux qui souffrent trouvent la force d'espérer en l'homme.

L'enfant regarde le beau ballon s'élever dans les nues bleutées du petit matin; il s'émerveille devant sa gracieuse légèreté; il le voit s'éloigner en dansant, au bout de son fil invisible. Par quel miracle peut-il prendre cette audacieuse liberté?
Mais soudain, comme un duvet, une vibration douce et voluptueuse caresse ses joues, et s'attarde en une coquine espièglerie sur une mèche de ses cheveux. Elle le chatouille un moment et s'engouffre par le petit trou de sa narine. De la main l'enfant veut la saisir, mais ses petits doigts se referment sur le vide.
Pourtant, il lui semble que cette intruse obéit à un maître suprême.

L'enfant se laisse griser, il redresse le torse, relève la tête, il respire, il sent, il hume, il s'élève et rejoint le ballon. Ensemble ils vont à un rendez-vous:
Il sont au royaume de l'air ce grand seigneur de notre espace règne sur leur vie, il leur demande respect et reconnaissance......

Danielle Neuveux-Benoît

La forêt est habitée, nul ne peut le contredire


Pour l’oeil et l’écoute, c’est le monde animal et végétal

Mais pour le poète ?

ô sublime révélation.

Il y a des froissements perceptibles et évocateurs, des lueurs mouvantes éphémères et bleutées, des frôlements de parfums ensorceleurs qui se répandent en des écharpes de soie transparente

Qui peut ainsi se manifester avec tant de malicieuse audace ?

La promeneuse s’arrête, tend les bras vers ce vertige sans mesure, elle se met à tourner sur elle même, ses jupes se soulèvent, recouvrent son visage, il lui semble descendre au fond d’un puits lumineux.

Des sarabandes de papillons voltigent comme des étoffes de mousseline ; voici l’instant de la rencontre mythique, le rêve prend l’apparence de la réalité, et se met à prendre forme.

L’ELFE paraît fragile sur son socle de cristal, elle vibre en agitant ses ailes colorées d’arc en ciel, elle tend la main à celle qui se prosterne, et d’un regard d’aube voilée, elle lui insuffle un nuage d’espérance.

Engloutie dans cette effluve parfuméede myrte et de mousse sucrée, la visiteuse rencontre le bonheur. Elle se doit de faire un vœu; le cœur battant, en fermant les yeux, elle donne un sens à sa prière.

Toutes les couleurs du monde enveloppent soudain l’univers, et dans un tourbillon fougueux, elle se retrouve hors du puits, assise calme et sereine sur un tapis de fleurs sur lequel s’inscrit : ARTISTE.

pour Mireille

Danielle

Histoires de "Montagnes"


« A mes amis des Roux et des Garets, de Marius, du VALGAUDEMAR »

PRANTIC depuis 1963

Encore une fois je me réveille sous le ciel de Prantic. Milieu magique situé au cœur d’un site prodigieusement sauvage et préservé, limité par de hautes montagnes pierreuses dont les contours accidentés donnent le vertige, et ferment la chaîne des Hautes-Alpes. C’est une histoire d’amour hors du commun, que je vis, depuis trente trois années en ces lieux "abrités" et protégés des remous de cette fin de siècle désenchanté.

Été 1988, je viens de m’éveiller, par un matin tendre et duveteux, chargé du parfum des bruyères, et de la suave odeur des fougères. Mes yeux se posent sur les cimes alentours, elle sont encore endormies et floues, nimbées de brumes mauves, elles s’étirent dans l’ubac habillé de ténèbres secrètes.

Hier, je suis arrivée au crépuscule, et j’ai planté ma maison de toile ; à 1800 mètres d’altitude, le ciel ressemble à une voûte peinte par Botticelli, il n’en finit pas d’exploser des prismes de couleurs précieuses, et la contemplation devient Divine, lorsque le chant du torrent fougueux qui se brise en contrebas, se mêle aux charivaris des insectes nocturnes.

C’est le premier matin du monde, le premier bonjour ; la gent malicieuse des marmottes me reconnaît. Elles sont toutes là, perchées sur des rocailles grises, elles sifflent d’audacieux signes de bienvenue. Leur concert envahit le cirque, et résonne en écho sur les parois abruptes ; la tête me tourne, tous mes sens sont aiguisés, c’est si beau, si grand, qu’une immense quiétude me pénètre jusqu’à l’ivresse. Soudain, mes yeux voient plus loin, mon écoute puise l’essentiel des chants de la terre, une sensation de bonheur se répand en moi et je ferme les yeux, je me sens imprégnée par la force de la puissante montagne.

Un long temps s’est écoulé ainsi, et je reviens à la réalité caressée par un rayon de soleil qui vient colores mes joues. Comme de grands draps déchirés, les vapeurs violettes de l’aube se sont dissipées. L’astre lumineux vient de surgir en faisceaux incandescents sur les versants de l’adret. Il se pose sur les pierriers de granit, qui déroulent à présent leur langue, comme des laves rougeoyantes en déchirant les herbes jaunes de l’été finissant.

Je suis sereine et paisible, je goûte en silence ces instants privilégiés. Aucun chaos ne peut atteindre ces lieux d’extrême tranquillité. Une frénésie s’empare de moi, et dans une exaltation sans mesure, j’ai soudain envie de chanter, de peindre, d’écrire, j’ai l’âme au bord du sublime.

Dans le plus simple appareil, comme aux lointaines origines de la genèse, je perçois les ondes pénétrantes des senteurs de la terre ; la terre de la montagne, imprégnée des essences de thym, de menthes bleues, de framboisiers sauvages, et des graminées aux épis dorés. Dans cet univers végétal, dont ma peau se régale, je me surprends à me respirer ; je suis un peu sucrée, le soleil investit chacun des plis de mon épiderme, il s’incruste de son feu cuivré, et répand des vagues de chaleurs bienfaisantes.

Voici venu l’instant du silence et de la contemplation. Dans ce décor inchangé et fidèle à lui-même, mes yeux se posent émerveillés sur ce décor Alpestre. Cette haute montagne est là, majestueuse, mystérieuse, elle règne en grande vestale sur le monde végétal, minéral et animal. De grands carrés d’ombre dessinent les contours déployés des grands hêtres touffus qui abritent en leur imposante frondaison, de miroitants parterres de myrtilliers odorants, et les napperons fragiles des petites fraises sauvages, dont les jolies feuilles dentelées frémissent sous le poids de quelques insectes aventureux.

A l’ombre d’un mélèze, je perds la notion du temps. Je reste fascinée par l’implantation des roches pelées d’où suintent quelques gouttes irisées, derniers vestiges d’une nuit fraîche et humide.

Les grands éperons rocheux dominent le village des Roux ; ils sont un gigantesque rempart dont les dernières courbes meurent en douceur sur la langue de quelques névés pérennes ; Ils sont comme de hauts lieux mythiques, où l’on pourrait entendre l’Oracle. Seuls, les affrontent quelques rondes d’arbrisseaux épineux et secs dans lesquels nichent de beaux tétras familiers des lieux.

Prantic, mon alpage, ma retraite, rêve du citadin stressé, où je vis le bonheur dans la simplicité des choses. Prantic, refuge aux heures des grandes débâcles morales, avec toi la vie est douce, rien ne vient déranger l’ordre sauvage de tout ce qui respire, pousse, meurt et renaît.

La gorge un peu sèche par tant d’émotions ressenties, je vais rejoindre la source fraîche ; il me faut contourner les fougères géantes, écarter l’agressif églantier, coucher quelques grandes lines échevelées, et demander pardon au chardon étoilé, lorsque d’un malencontreux coup de pied, je l’ai délogé de sa mousse épaisse.

Je m’assois sur une roche luisante, je laisse ma main suivre le courant de l’onde, je me penche vers l’eau pure, et à satiété je "m’enivre" de sa saveur minérale. Elle a aussi un goût de serpolet, je la déguste avidement, j’inonde mon visage de sa bienfaisante fraîcheur faisant éclater des myriades de perles bleues qui font jaillir les pores de ma peau.

Au travers des bouleaux qui ombrent la source, une brise légère frémit, elle sèche mes joues, s’anime dans mes cheveux, et promène avec elle, toutes les essences florales de la montagne.

Je suis minuscule sous cette immense futaie de hêtres, de chênes, et de sapins. Comme de grands magiciens ces derniers, balancent leurs cimes en sifflant d’étranges sons, que répercute l’écho tel un lointain carillon. Et je me dis, dans ces instants de communion totale : « comment peut-on couper un arbre ? ». Je me suis toujours rebellée devant cet acte sacrilège, et pourtant l’homme semble de toute évidence, ne pas pourvoir se passer de lui pour survivre. Éternel cas de conscience, jamais résolu ; de tout temps l’homme, prédateur, ampute la vie végétale, animale et minérale pour préserver sa survie. C’est une dure réalité, pour le poète, l’artiste et l’idéaliste.

Mais voici que le vent se fait plus fougueux, m’obligeant brutalement, à reprendre contact avec un univers concret, je dois sortir de mon rêve éveillé, les arbres commencent à agiter leurs faîtes, en faisant tinter comme des soies, leurs petites médailles argentées. Je suis encore une fois à l’écoute, grisée et un peu suffoquée par les brusques assauts de Borée.

Me voici de nouveau sous la tente, j’écoute gronder au loin quelques échos d’un orage de chaleur. La journée n’a pas de fin, à tous moments, il se passe quelque chose. En ce moment, de grands nuages se regroupent au sommet du Pévéou, ils ne sont pas très menaçants, mais ils jouent avec le vent, sculptant d’hallucinantes chimères éphémères, renouvelées à l’infini.

 

Je rends visite à la petite maison communale ; grise et discrète, elle disparaît dans le décor, envahie par des arbousiers dont les larges feuilles méridionales cachent l’entrée principale. Attenante l’étable est vide. Il n’y a pas de génisses cette année. C’est un peu triste, les autres étés, elles venaient le soir, se regrouper pour passer la nuit dans le cocon chaud de la bergerie.

J’aime ces belles Tarines, aux yeux maquillés comme des reines égyptiennes, qui très tôt le matin, en curieuses impénitentes, venaient aux nouvelles, en léchant de leur langue rose et râpeuse la toile de ma tente.

Je soulevais alors le moustiquaire, et je saluais ces grandes prêtresses dont la robe rousse et lustrée incendiait de lumière mon habitacle.

Avec leurs petits pis roses, lisses, et veloutés, elle me faisaient penser à de jeunes filles en âge de se fiancer.

Elles gagnaient l’Alpe, lorsque le temps était venu de la transhumance, elles allaient au lac de Pétarel. Il leur fallait grimper, d’abord du village, puis patiemment gagner les hauteurs par un sentier bordé de rhododendrons, escalader des roches coupantes, enfoncer leurs sabots dans les prés marécageux pour enfin atteindre la petite bergerie qu’encerclaient de grosses feuilles gonflées d’eau. Souvent je les ai suivi, essoufflée et exténuée par l’aridité du chemin. Une bonne sente de montagne, réservant à chacun de ses détours des trésors de délicates découvertes, que je stockais au plus profond de ma mémoire.

Ainsi, le petit, tout petit lac de Pétarel, minuscule cuvette captant tel un miroir, un coin de ciel bleu, bordé d’un feston de vase verte qui servait de territoire à d’innombrables salamandres au ventre orangé. Quel bonheur de les voir se prélasser ; du bout des doigts je les taquinais, pas farouches, elles frémissaient en troublant la surface de l’eau, qui s’animait en de beaux ronds bruissants.

« Que la montagne est belle dit le poète »

La majesté de Prantic est incommensurable.

Quelle leçon d’humilité, quel enchantement d’avoir reçu ce don de voir, d’entendre et de sentir. Cela, en ces instants, suffit à ma vie.

Je vais à présent partir, près de moi les gentianes et les bruyères s’agitent, quelques papillons très bleus voltigent autour d’elles, je vois, une petite araignée, le ventre rouge constellé de points noirs, grimper dans la corolle d’une colchique épanouie, elle tête le sucre mauve de la fleur offerte.

Tout contre la terre, je m’imprègne du parfum des foins épars, je découvre l’univers laborieux de milliers d’insectes traçant pour, un mois, un jour, une heure, le long périple de leur fragile existence.

Vous habitants de cet entracte privilégié, sachez que depuis 35 ans je suis des vôtres, et que je vous remercie de m’avoir surnommée : La fée de Prantic.

Danielle


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